Geneviève Moll1991

Texto referente à exposição:
Manuel Amado, peintures récentes - Mouvances Galerie D’Art, Paris, 1991
Même les cigales se sont tues. Nous sommes à cette heure de l’ après-midi où l’ énorme chaleur s'affaisse enfin sur elle-même. Il y a comme un silence du soleil!. Un arrêt de son grésillement dense. Tout est en attente. Sur la plage, les toiles rayées des cabines de bains vont à nouveau accueillir «les rires des filles chatouillées». Dans les maisons aux portes closes, les corps moites, abandonnés sur des lits de fortune, sont enfin effleurés d'une fraîcheur encore incertaine. Dans les rues, les chemins déserts, les arbres immobiles soufflent un peu.

Il n'y a rien, ni personne, que ces fauteuils qui attendent, ces ombres qui remodèlent une architecture pourtant très rigoureuse, ces couleurs qui, à force d'avoir été frappées par le soleil, en sont comme nouvelles, inventées.

Il n'y a rien, ni personne, si ce n'est le peintre, immobile, surréalisant le paysage, veilleur du monde abandonné des hommes.

Rien d'extravagant, pourtant : un escalier cassé par la lumière comme par de I’ eau, l'ombre portée d'un arbre sur un mur a la porte close, l’ entrée éblouissante d'une «quinta» a la végétation luxuriante...

Et des intérieurs. Des intérieurs révélés par la lumière venue du dehors.

Et toujours personne. Personne si ce n'est la présence voyeuse du peintre qui regarde.

On imagine bien Manuel Amado la, dans ce corridor, au pied de cet escalier. Comme lorsqu' il était enfant, dans la grande maison de sa grand mère, a Lisbonne. Immense maison, aux pièces multiples et silencieuses, que la multitude d'enfants (les frères, les cousins de Porto) laissaient dormir sur elles-mêmes, malgré les cavalcades bruyantes dans les longs couloirs. On imagine bien, dans le peintre, l’ enfant immobile, guettant un bruit, un frôlement, un indice de présence, durant les parties de cache-cache de l’ été.

Aujourd'hui, Manuel Amado, au pied de l'escalier, peint. Seuls ses yeux d'eau sont mobiles. Avec une économie de gestes qui rend le pinceau sûr, il peint ces murs d'ombre transfigurés par la lumière, ces paysages, ces objets, ces indices du monde qui vont sortir du silence. Il les fait parler d'autre chose que d'eux-mêmes : des rêves confus de la sieste, du temps suspendu par la chaleur, de leur indifférence aux hommes qui les ont crées, bâtis, façonnés.

Pendant des années, Amado a balbutié sa vision du monde. Il a commencé très tôt a peindre. Il devait avoir seize ans. C'était pendant les vacances, les week-ends, lorsque son père, animateur d'une troupe de théâtre amateur, lui en laissait le temps. Car Manuel faisait partie de tous les spectacles. Il jouait, lui aussi, et adorait les planches. Mais il dévorait également tous les livres. Et le temps pour la peinture était pris sur ce qu'il restait : la portion presque congrue.

Vient l'âge d'homme. Il fait des études d'architecture, devient architecte, travaille et, peu à peu, trouve de plus en plus de temps pour la peinture. Il a du reste le geste plus rapide, plus aigu. Il maîtrise sa technique et sa vision du monde. Il abandonne tout. Il peint.

Aujourd'hui, il est presque comme Bashô, le poète japonais, qui disait le monde en trois vers, un haiku. Aucun des haikus de Bashô n'est semblable a un autre. Mais chacun d'eux donne l'essence du monde.

Aucun des tableaux d'Amado n'est semblable à un autre. Mais ils disent tous le bonheur d'un monde enfin regardé.